La ruine de ses espérances d’un renouveau catholique, qu’il avait entrevu avec le christianisme libéral de Lamennais, et la rupture brutale de sa liaison avec Adèle Hugo, le poussèrent à s’éloigner jusqu’à Lausanne. Pendant plusieurs mois, il y enseigna l’histoire de Port-Royal, ébauche de sa grande synthèse religieuse, littéraire, psychologique et historique, Port-Royal, dont les volumes parurent entre 1840 et 1859. Nombreux sont ceux qui pensent que personne ne comprit mieux que lui Pascal et le jansénisme. Pourtant, peut-être parce qu’il possédait une sorte de grâce fatale pour voir le christianisme dans son exigence totale, il découvrit qu’il était incapable d’un tel effort intérieur et sortit de ce travail totalement incroyant !
Après avoir été élu à l’Académie française (1843) et s’être exilé volontairement à Liège, son retour en France fut marqué, à partir de 1849, par la série de ses fameuses féroces et talentueuses Causeries du lundi, publiées dans le Constitutionnel puis dans Monsieur, dans lesquelles, dorénavant journaliste officiel, rallié à l’Empire, et heureux de vivre sous un régime autoritaire, il prétendit juger les livres et les hommes selon des principes moraux et politiques. Puis, fidèle à son empirisme profond, il revint à une critique libérée de tout esprit de système en s’attachant à circonscrire et à définir une âme, un esprit. Sénateur de 1865 à sa mort, il défendit la liberté des lettres et de penser.
Reconnu comme un, ou « le », maître incontesté de la critique française, à la conception tout de même dépassée, oscillant entre souplesse et rigidité, il ne fut pas sans défauts et commis des bévues, parfois méchantes comme, par exemple, en ravalant le génie de Balzac, en méconnaissant Stendhal, en ignorant Nerval, etc. Du fait de son ampleur, son œuvre critique relégua dans l’ombre le Sainte-Beuve poète non dépourvu de talent. Auteur d’un unique roman, Volupté (1834), en véritable souverain de la république des lettres et du bon goût, alors que bien des auteurs du passé trouvaient grâce à ses yeux, sa plume sévère envers ses contemporains n’était peut-pas dénuée de toute envie.
Mais, plus encore que les livres, c’était bien les hommes qui l’intéressaient et qu’il s’attacha, en étudiant avec minutie leurs biographies, à situer dans leur temps en les reliant à un grand mouvement de civilisation, d’où une critique débordant du simple cadre littéraire.
Malgré les fâcheries qu’il suscita, on trouva du monde pour former le convoi l’accompagnant jusqu’au cimetière du Montparnasse où il fut inhumé sans obsèques religieuses.
Sur sa tombe une colonne et un buste signé de José de Charmoy (1879-1914) dont, décidément, on s’interroge sur les sources d’inspiration. Entre son Baudelaire grimaçant et un Sainte-Beuve hautement dédaigneux, il semble ses ciseaux n’aient aimé qu'accentuer le trait d'une façon excessive et sans concession.