La littérature chevillée à l’âme, historien, poète et écrivain, son implication dans le procès de la bande à Bonnot semblerait presque incongrue s’il n’était pas connu pour être libertaire et révolutionnaire et, à l’époque, pour écrire, sous le pseudonyme de Rétif, dans le journal L’Anarchie à Romainville que fréquentait les membres de la bande et où travailla Callemin, ami d’enfance de Victor. Victor refusait de tremper dans les histoires d'armes, de cambriolages ou de fausse monnaie du courant «illégaliste».
Ce fut donc pour ses relations de publiciste anarchiste et pour avoir refusé de dénoncer des membres de la bande quand ils se cachaient chez lui, qu’il se retrouva sur le banc des accusés. Il fut condamné à une peine de prison qu’il purgea de 1912 à 1916 et qui lui inspira Les Hommes dans la prison.
A sa libération, il rejoignit la Russie révolutionnaire et devint membre de l'opposition de gauche animée par Léon Trotsky. Dénonçant la dégénérescence stalinienne de l'Etat soviétique et de l'Internationale communiste et ses conséquences désastreuses, il connut trois ans de déportation sous Staline dont il sortit grâce à une campagne internationale de gauche menée en sa faveur notamment par Trotsky. De retour en France, Victor Serge s’appliqua à dénoncer les grandes purges staliniennes comme en témoigne son livre L'Affaire Toulaev.
Arriva 1940. Face à la défaite de la France et au sort qui les attendait sous le régime nazi, beaucoup d’opposants à ce régime, intellectuels et artistes de tous poils s’exilèrent. Le 25 mars 1941, grâce à l’aide d’un réseau, Victor Serge, son fils et trois cents autres personnes, parmi lesquels André Breton, Claude Lévi-Strauss et Wilfredo Lam, embarquaient sur une « coquille de noix pourrie jusqu’à la moelle » pour être débarqués à la Martinique où ils furent parqués dans un camp à Pointe-du-Bout.
En fonction des visas accordés, les uns et les autres s’éparpillèrent dans leur nouveau pays d’accueil. Les Etats-Unis ayant refusé de le recevoir, Victor Serge continua son périple qui le mena en prison à Cuba.
Grâce à une campagne de presse, une série de conférences sur le stalinisme et la guerre à la Maison des syndicats et un voyage aérien mouvementé pour Mérida au Yucatán, il arriva enfin au Mexique qu’il ne quitta plus.
Dans un contexte politique difficile et violent, « Serge écrivait tous les jours, dans un bureau exigu où ses livres étaient posés sur des planches et des briques. Son seul luxe : de très beaux porte-plume dont il prenait grand soin, car son bonheur était la calligraphie. Comme il devait assurer une correspondance régulière avec de nombreux amis de par le monde et que les timbres coûtaient très cher, il économisait sur le thé, sa boisson favorite ».
Il travaillait à ses " Carnets " que plus tard, Merleau-Ponty, après un passage au Mexique, fit éditer chez Julliard.
Sa mort soudaine dans un taxi laissa supposer un instant qu’il avait été empoisonné.
Mais laissons son fils, le peintre Vlady, nous raconter :
« Sa disparition s’accompagna d’un hasard bouleversant. Isabelle et moi étions chez nous quand, un matin, il vint en taxi pour nous apporter un poème. Nous primes le thé, puis il nous quitta sans vouloir nous donner ce texte. Plus tard, il le glissa à la grande poste de l’Alameda, puis mourut peu après dans le taxi. Fait troublant, alors qu’on prenait son masque mortuaire, j’ai dessiné ses mains, de très belles mains aristocratiques…Le surlendemain, j’ai reçu son poème. Il était intitulé Mains…C’était une évocation de la mort, à propos de mains imaginaires attribuées à Michel-Ange. Bien plus tard, ce poème fut traduit en espagnol par la petite-fille de Trotsky, et nous l’avions édité avec le croquis de ses mains, tiré sur papier Arche… »
Victor Serge, écrivain français, Belge de naissance, Russe de cœur et « citadin du monde par option », fut inhumé au cimetière espagnol de Mexico dans une tombe qui resta anonyme jusqu’en 1992, date à laquelle il aurait eu enfin une pierre tombale.