Paria il était, paria il se déclinerait par la suite dans ses écrits sous la forme du noble, du prophète, de Satan et du soldat.
Soldat ! Bercé par des rêves de gloire inspirés par les lauriers que glanaient des hommes en ces époques de guerre qui semblaient l’état naturel de la France, il attendait de faire ses preuves lorsque la seconde Restauration ramena la paix. L’impétueux officier qu’il était dut se contenter de la monotonie de la vie de garnison et de perspectives d’avancement à l’ancienneté. Brisées les ambitions militaires ! Après un congé (1825), il fut définitivement réformé en 1827. Mais c’est aussi durant cette servitude qu’il développa son sentiment de l’honneur, son abnégation et son stoïcisme.
Parallèlement à sa carrière militaire, il avait débuté dans la littérature d’abord de façon inaperçue avant l’accueil triomphal de son recueil Éloa, marche vers la célébrité confirmée par un autre succès littéraire avec Cinq-Mars (1826).
Abandonnant, sous la contrainte de mère, sa passion pour Delphine Gay pour un mariage de raison (1825) avec une riche Anglaise peu sympathique, Lydia Bunbury, cette union ne fut qu’une suite de désagréments. Pendant plus de trente ans Mme de Vigny allait passer la plus grande partie de sa vie alitée, harcelée par des maux de toutes sortes. Incapable de lui donner des enfants, devenue obèse, notre poète, lui-même d’une nature maladive, dut se partager entre son chevet et celui de sa mère, paralysée mais toujours aussi autoritaire.
Quand il rencontra l’actrice Marie Dorval, il la prit pour l’ange sauveur qu’elle n’était pas. Si elle triompha dans des pièces de son amant, notamment dans son chef-d’œuvre Chatterton (1835), elle lui mena une vie impossible. Son courage de rompre en 1838, lui laissa une profonde blessure.
A ces épreuves s’ajoutait la brouille avec ses anciens amis du Cénacle. Vigny se renferma dans son amertume, dans une « sainte solitude » et lentement évolua vers des idées républicaines et une philosophie politique et sociale.
Enfin admis à l’Académie française en 1845, son discours de réception (1846) fut si maladroit qu’il provoqua la risée de ses pairs. Ce n’était pas sa dernière humiliation.
Après avoir vainement proposé son épée à Charles X en 1830, pris d’enthousiasme pour la révolution de 1848, où il espérait jouer un rôle politique, il se présenta à la députation en Charente, mais il obtint si peu de voix qu’il en fut ulcéré. C’était sa dernière grande désillusion.
Retiré dans son domaine angoumois auprès de sa femme infirme, il écrivit alors quelques-uns de ses plus beaux poèmes : La Bouteille à la mer (1853), Le Mont des oliviers et Les Oracles (1862) et L’Esprit pur (1863) qui furent regroupés dans un volume posthume, Les Destinées.
Il avait eu trop de dignité pour plaire immédiatement aux foules. On lui a reproché d’être laborieux, chagrin, de manquer d’invention verbale, de veine et de souffle. Il n’empêche qu’au moins une dizaine de ses poèmes vaut ce que la poésie française a produit de plus beau.
Alfred de Vigny mourut à Paris probablement rongé par un cancer. Comme il l’avait souhaité, sa dépouille fut revêtue de sa capote de soldat.
Ses obsèques eurent lieu le 19 septembre en l’église Saint-Philippe-du-Roule où « il y avait autant de monde que la saison
le permettait »…La presse, occupée par les potins du second Empire, était restée discrète.
Il fut inhumé au cimetière de Montmartre où il rejoignit dans la tombe deux de ses « tyrans » : sa mère et sa femme morte en 1862.